Jean-Charles Hameau
2016
2016
Globe-trotteuse infatigable, Elsa Guillaume développe un univers plastique nourri par ses escales aux quatre coins du monde. Au cours de ses périples, c’est à chaque fois la découverte du nouveau monde qui se joue et qui remplit ses carnets de notes et de dessins. Moins héritier de Levi-Strauss que de Jules Verne, son travail relève de l’ethnographie onirique et fantasmagorique. Les histoires que racontent ses créations graphiques ou plastiques, oscillent entre rêverie et crudité, jusqu’à une certaine forme de cruauté (anthropophagie, dissections) mais qu’elle traite toujours avec humour et légèreté. Son oeuvre est une bande dessinée tentaculaire, dont les acteurs s’échappent des cases pour prendre de l’épaisseur dans la céramique, et traduire son regard amusé sur la bizarrerie du monde, la luxuriance des fonds marins ou des jungles exotiques.
IMMERGÉ
À la surface du sol flotte une constellation de mains et de têtes humaines, de nénuphars, et de têtes de poissons. Rien dans la disposition des éléments constitutifs de cet étrange marais n’a été laissé au hasard : les typologies s’assemblent et forment un réseau complexe de lignes, de carrés, de losanges. Un ordre géométrique est incontestablement à l’oeuvre. Ce dernier relève-t-il du mandala bouddhique en trois dimensions, des peinture de sable Navajos ou encore des géoglyphes dessinés par les Nazca sur le sol péruvien ? L’espace représenté change d’échelle et devient paysage, carte ou maquette d’une île imaginaire dont les sommets sont parés de trophées de guerre (peut-être la tête d’un ennemi plantée en haut d’un mât en signe d’appartenance, ou bien des marqueurs de richesse liés à la végétation ou à la pêche...) Les figures humaines, à demi immergées, aux yeux clos, disparaissent progressivement vers les profondeurs et emportent sous l’eau le souvenir d’une terre chargée de mystères. À travers cet archipel de porcelaine, s’exprime le goût d’Elsa Guillaume pour le monde aquatique, ses habitants morts ou vifs, l’imaginaire à la fois merveilleux et inquiétant de l’inconnu insulaire que l’on retrouve aussi, tantôt sous la forme d’oursins à l’heure de l’autopsie (triple oursinade), tantôt sous celle d’un calamar géant rituellement découpé par les Indiens amazones (Spineless Squid). À l’opposé d’être un long fleuve tranquille, l’océan d’Elsa Guillaume est constellé de « poiscaille », de mollusques, de conquistadors, d’îles et de cultures indigènes.
SUCCULENTE
Comme on sèche du linge ou des salaisons, Elsa Guillaume pend des pièces de viande humaine : mains, pieds, doigts coupés composent d’appétissantes guirlandes pour les cannibales qui stockent la denrée carnée aux fils de paravents peu communs. En guise de bouquet garni : morceaux de cactus, feuilles de yukas et autres essences exotiques situent l’action quelque part entre la jungle et le désert. Les trois écrans forment une cabane dans laquelle l’artiste invite le visiteur à pénétrer. Que signifie cette mise en scène ? Somme snous dans le lieu de culte d’une population de sauvages pour qui les membres mis en pièces auraient valeur de protection apotropaïque, d’offrande ou d’ex-voto ? Où sont passés les restes des corps humains ? S’agit-il d’un avertissement adressé par des anthropophages à l’explorateur égaré ? Sous la forme d’un épouvantail atomisé, Elsa Guillaume donne à la porcelaine l’occasion de littéralement s’incarner. Par l’action du feu qui, en cuisine comme en céramique, permet de distinguer le cru et le cuit, la pâte blanche se transforme en corps inertes qui s’animent et se balancent au gré d’un fil, entre la vie et la mort, entre le rituel et le gueuleton.
Si les carnets de voyages d’Elsa Guillaume sont farcis de découvertes culinaires en tout genre (pêches guatémaltèques, pancakes brésiliens, sushis japonais, etc.), c’est que la nourriture revêt pour l’artiste une signification spéciale et alimente son travail en céramique. Pas étonnant que les pratiques sacrificielles chez les Mayas ou celles des mangeurs de chair humaine chez des indiens Tupinambas nourrissent son esprit artistiquement glouton.
Parmi les images qu’elle se réapproprie, les gravures de Théodore de Bry (1528-1598), illustrateur des grandes découvertes, entrent particulièrement en résonance avec Succulente. Des scènes d’anthropophagie brésiliennes aux exactions espagnoles contre les peuples indigènes, l’artiste liégeois a rendu célèbre la cruauté de la conquête de l’Amérique en s’inspirant des récits de voyageurs. Fascinée par les barbecues humains dessinés par l’humaniste du XVIe siècle, Elsa Guillaume, à son tour, taille le vivant en pièces. Ce goût pour le prélèvement dans la matière vive sous la forme d’un jeu de sections/dissections s’exprime de manière récurrente dans les céramiques de l’artiste comme dans Monticule, un costume de raie aux ailes coupées ou dans Pinnules, une collection de quartiers de thon rouge sanguinolents. L’artiste semble chercher la complexité et l’immensité du monde à l’intérieur de l’enveloppe corporelle, en plongeant ses mains à même la chair.
IMMERGÉ
À la surface du sol flotte une constellation de mains et de têtes humaines, de nénuphars, et de têtes de poissons. Rien dans la disposition des éléments constitutifs de cet étrange marais n’a été laissé au hasard : les typologies s’assemblent et forment un réseau complexe de lignes, de carrés, de losanges. Un ordre géométrique est incontestablement à l’oeuvre. Ce dernier relève-t-il du mandala bouddhique en trois dimensions, des peinture de sable Navajos ou encore des géoglyphes dessinés par les Nazca sur le sol péruvien ? L’espace représenté change d’échelle et devient paysage, carte ou maquette d’une île imaginaire dont les sommets sont parés de trophées de guerre (peut-être la tête d’un ennemi plantée en haut d’un mât en signe d’appartenance, ou bien des marqueurs de richesse liés à la végétation ou à la pêche...) Les figures humaines, à demi immergées, aux yeux clos, disparaissent progressivement vers les profondeurs et emportent sous l’eau le souvenir d’une terre chargée de mystères. À travers cet archipel de porcelaine, s’exprime le goût d’Elsa Guillaume pour le monde aquatique, ses habitants morts ou vifs, l’imaginaire à la fois merveilleux et inquiétant de l’inconnu insulaire que l’on retrouve aussi, tantôt sous la forme d’oursins à l’heure de l’autopsie (triple oursinade), tantôt sous celle d’un calamar géant rituellement découpé par les Indiens amazones (Spineless Squid). À l’opposé d’être un long fleuve tranquille, l’océan d’Elsa Guillaume est constellé de « poiscaille », de mollusques, de conquistadors, d’îles et de cultures indigènes.
SUCCULENTE
Comme on sèche du linge ou des salaisons, Elsa Guillaume pend des pièces de viande humaine : mains, pieds, doigts coupés composent d’appétissantes guirlandes pour les cannibales qui stockent la denrée carnée aux fils de paravents peu communs. En guise de bouquet garni : morceaux de cactus, feuilles de yukas et autres essences exotiques situent l’action quelque part entre la jungle et le désert. Les trois écrans forment une cabane dans laquelle l’artiste invite le visiteur à pénétrer. Que signifie cette mise en scène ? Somme snous dans le lieu de culte d’une population de sauvages pour qui les membres mis en pièces auraient valeur de protection apotropaïque, d’offrande ou d’ex-voto ? Où sont passés les restes des corps humains ? S’agit-il d’un avertissement adressé par des anthropophages à l’explorateur égaré ? Sous la forme d’un épouvantail atomisé, Elsa Guillaume donne à la porcelaine l’occasion de littéralement s’incarner. Par l’action du feu qui, en cuisine comme en céramique, permet de distinguer le cru et le cuit, la pâte blanche se transforme en corps inertes qui s’animent et se balancent au gré d’un fil, entre la vie et la mort, entre le rituel et le gueuleton.
Si les carnets de voyages d’Elsa Guillaume sont farcis de découvertes culinaires en tout genre (pêches guatémaltèques, pancakes brésiliens, sushis japonais, etc.), c’est que la nourriture revêt pour l’artiste une signification spéciale et alimente son travail en céramique. Pas étonnant que les pratiques sacrificielles chez les Mayas ou celles des mangeurs de chair humaine chez des indiens Tupinambas nourrissent son esprit artistiquement glouton.
Parmi les images qu’elle se réapproprie, les gravures de Théodore de Bry (1528-1598), illustrateur des grandes découvertes, entrent particulièrement en résonance avec Succulente. Des scènes d’anthropophagie brésiliennes aux exactions espagnoles contre les peuples indigènes, l’artiste liégeois a rendu célèbre la cruauté de la conquête de l’Amérique en s’inspirant des récits de voyageurs. Fascinée par les barbecues humains dessinés par l’humaniste du XVIe siècle, Elsa Guillaume, à son tour, taille le vivant en pièces. Ce goût pour le prélèvement dans la matière vive sous la forme d’un jeu de sections/dissections s’exprime de manière récurrente dans les céramiques de l’artiste comme dans Monticule, un costume de raie aux ailes coupées ou dans Pinnules, une collection de quartiers de thon rouge sanguinolents. L’artiste semble chercher la complexité et l’immensité du monde à l’intérieur de l’enveloppe corporelle, en plongeant ses mains à même la chair.
texte de Jean-Charles Hameau, conservateur au Musée National Adrien Dubouché (Limoges), pour le catalogue de l'exposition Kao Export Ltd.